Dès Le harpon du chasseur (1969), le premier roman inuit de Markoosie Patsauq, des valeurs inattendues d'égalité entre les deux sexes sont promues grâce a de nombreuses images de la femme inuite, forte, courageuse et qui n'hésite pas a imposer son point de vue. Sanaaq, le livre de Mitiarjuk Nappaaluk (1983), développe cette représentation et permet a l'anthropologue Bernard Saladin d'Anglure de formuler son concept de "troisième sexe" : les communautés inuites traditionnelles pratiquaient de nombreux types de travestissement d'enfants en le sexe opposé pour remédier a des déséquilibres démographiques, économiques ou psychologiques.
Des filles éduquées en garçons devenaient par la suite des "créatures de l'entre-deux", des médiatrices symboliques non seulement entre les hommes et les femmes, mais également entre les hommes et les dieux, puisque le travestissement symbolique réprésentait l'une des composantes indispensables du chamanisme inuit. L'article examine le rapport existant entre cette "institution" autochtone traditionnelle et les images de la femme inuite dans plusieurs romans de la littérature canadienne française : Agaguk (1958) et Tayaout, fils d'Agaguk (1969) d'Yves Thériault, Rivière sans repos (1970) de Gabrielle Roy et Le Chant de la terre blanche (2015) de Jean Bédard.